La famille contemporaine ne serait qu’une forme dégradée de la famille paysanne ; une sorte de ruine sociale, dont tout le charme tient à l’architecture ancienne qu’elle évoque. Groupe domestique : groupe constitué par les gens qui vivent selon les expressions anciennes. La société paysanne organise l’essentiel de la vie économique au sein des groupes domestiques. Le vocable du groupe domestique met l’accent sur l’ensemble des gens vivant dans la maison et évoque à la fois l’économie domestique qui répond au besoin du groupe, et le domaine qui le fait vivre. Deux caractéristiques essentielles du groupe domestique paysan : sa stabilité et son fondement patrimonial. Pour exister, le groupe domestique doit disposer de terre et de disposition de la terre. Les biens se transmettent par l’héritage, et la position sociale par la succession. La logique du lignage l’emporte dans la succession. La logique de la maison l’emporte sur celle du lignage. Dans les systèmes à lignage ou à parentèle, le principe de parenté, cognatique ou agnatique, l’emporte. Dans les systèmes à maison, c’est le principe résidentiel qui l’emporte. La maison, le lignage ou la collectivité villageoise sont, pour des sociétés paysannes, les trois paradigmes sociaux fondamentaux.
- Familles indivises
Les communautés « taisibles » du centre de la France et la « zadrouga » des Slaves du Sud fournissent deux exemples qui se prêtent à l’analyse du type le plus achevé du groupe domestique paysan. Elles s’opposent à la communauté « expresse » qui de se contracte « pour le fait de marchandise » et à « l’affrèrement » par lequel deux frères décident de s’associer selon certaines règles et conditions prévues au contrat passé devant un notaire. Le fonds de la communauté comprend les terres, le cheptel et la caisse commune. Seuls les hommes sont véritablement membres de la communauté. La « zadrouga » des Slaves du Sud présente les mêmes caractères que la communauté divisible. Dans certaines régions et à certaines époques, elle représentait le mode dominant d’organisation sociale de la paysannerie. L’indivision du patrimoine entraîne l’indivision de la famille et la perpétuation du groupe domestique. Les différentes tâches et les différentes positions dans la hiérarchie de groupe sont attachées aux différents rôles. L’organisation du groupe est immémoriale. Des groupes domestiques de ce type peuvent vivre en autarcie sur presque tous les plans.
- La famille-souche
Pour assurer la continuité de la maison et éviter à la fois la surcharge et la division du patrimoine, chaque génération doit être représentée par un couple, et un seul, qui assure la transmission de l’héritage au couple de la génération suivante. La famille-souche assure, de la même manière que la famille indivise, la continuité du groupe domestique.
- Droit romain, code civil et diversité des coutumes successorales
La continuité du groupe domestique de l’un ou l’autre type suppose inaliénabilité et indivisibilité du patrimoine, ce qui s’oppose à deux principes du Droit romain ; droit de propriété individuel et total qui implique que nul n’est tenu de rester dans l’indivision. Les régions du droit coutumier se sont soumises plus rapidement au code civil que les régions du droit écrit. La règle juridique, qui assure l’intangibilité de l’avantage, est l’exclusion des enfants dotés. Dans un autre cas, l’enfant doté peut opter : soit conserver son bien et ne pas venir à la succession, soit rapporter sa dot à la masse en vue d’un partage l’égal avec ses cohéritiers.
- Diversités des groupes domestiques
La règle successorale peut renforcer l’égalité des groupes domestiques ; mais à l’inverse, elle suscite des stratégies d’alliances qui produisent des inégalités. Rares sont les sociétés paysannes égalitaires, sauf si la terre est propriété collective. Plus le groupe domestique est potentiellement fort, plus l’inégalité est probable. L’absence de patrimoine ou un patrimoine réduit à une maison et à un lopin de terre excluent la constitution et la perpétuation d’un groupe domestique large. Les études de démographie historique montrent que l’éventail de la répartition entre les différentes situations domestiques varie considérablement de région à région et au cours du temps dans la même région. Dans les sociétés paysannes, toute la vie économique est organisée au sein des groupes domestiques. L’agriculture paysanne est fondée sur une appropriation relativement stable d’un terroir limité et sur un système de production relativement complexe. Dans les sociétés lignagères, l’identité de chacun est fixée par son lignage plutôt que par sa « maison ».