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Présentation

  • : Le blog de Bouna Ahmeth Fall
  • : Mon blog cherche à vulgariser la sociologie rurale au Sénégal. Il me permet, en même temps, de mettre en ligne mes différentes activités pédagogiques à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis. De temps en temps, je présente quelques personnalités fortes de l'UGB qui ont gagné mon estime grâce à leur engagement pour la connaissance.
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Profil

  • Bouna Ahmeth FALL
  • Ancien élève du lycée Abdoulaye Sadji de Rufisque et ancien lauréat au Concours Général de Philosophie des classes de Terminal, Bouna Ahmeth Fall est sociologue et épistémologue des sciences sociales.
Il a été formé de la Première année au Doctorat à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal. Très attaché à cette institution, il y enseigne les sciences sociales depuis dix neuf ans. 
Actuellement ses recherches portent sur les relations Intergroupes et les représentations sociales. 
Dans la société wolof sénégalaise il mène des études qui s'intéressent aux phénomènes liés aux hiérarchies sociales (groupes dominants et dominés et dynamiques de l'identité sociale).
  • Ancien élève du lycée Abdoulaye Sadji de Rufisque et ancien lauréat au Concours Général de Philosophie des classes de Terminal, Bouna Ahmeth Fall est sociologue et épistémologue des sciences sociales. Il a été formé de la Première année au Doctorat à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal. Très attaché à cette institution, il y enseigne les sciences sociales depuis dix neuf ans. Actuellement ses recherches portent sur les relations Intergroupes et les représentations sociales. Dans la société wolof sénégalaise il mène des études qui s'intéressent aux phénomènes liés aux hiérarchies sociales (groupes dominants et dominés et dynamiques de l'identité sociale).

Ce blog cherche à vulgariser la sociologie rurale au Sénégal. Bonne lecture!

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31 juillet 2009 5 31 /07 /juillet /2009 18:28

3) Enseigner à l’université :

apprendre à mépriser les étudiant-e-s

« Les enseignants chercheurs concourent à l’accomplissement des missions de service public

de l’enseignement supérieur […]. Ils participent à l’élaboration et assurent la transmission

des connaissances au titre de la formation initiale et continue. Ils assurent la direction, le

conseil et l’orientation des étudiants. Ils organisent leurs enseignements au sein d’équipes

pédagogiques […]. Ils ont également pour mission le développement de la recherche […]. »

(Article 3 du Décret du 6 juin 1984 modifié fixant les dispositions statutaires communes

applicables aux enseignants-chercheurs, souligné par moi).

8 J’ai compris que les gens avaient conscience de cette dimension à l’annonce de ma décision de démissionner.

Alors que je m’attendais à des reproches pour ma « désertion », j’ai eu la surprise d’être plusieurs fois interpellé

avec une grande gentillesse (mais avec discrétion). On m’expliquait alors que j’avais bien raison et bien de la

chance de pouvoir fuir. Visiblement, le désert relationnel universitaire fait souffrir beaucoup de gens mais la

désorganisation collective individualise les souffrances et encourage un silence général.

les documents de liens socio – n° 6 – octobre 2007

Compte tenu de la seconde partie de mon troisième préalable (voir supra), je voudrais tenter

d’ordonner un facteur central de ma démission, à savoir le mépris des étudiant-e-s qui

transparaît dans l’organisation globale des enseignements à l’université et dans les pratiques

professionnelles des enseignant-e-s. Là encore, je ne me baserai que sur mon expérience en

sociologie mais j’ai cru comprendre que les choses n’étaient pas plus enviables ailleurs.

Simplement, le fait que des sociologues participent activement à la fabrication de ce mépris

m’a profondément découragé.

Le rapport au métier d’enseignant-e

Dès mon arrivée, j’ai été frappé par la manière dont mon activité de chercheur a retenu (ou

pas) l’attention au détriment de mon activité d’enseignant. On s’intéresse à vos récentes

publications ou on vous incite à écrire votre premier livre mais on ne se préoccupe jamais du

contenu de vos enseignements. Même si les MCF et les PU sont des enseignant-e-s –

chercheur-se-s, la valorisation symbolique passe par la seule activité de recherche. En

particulier, tout ce qui peut relever d’un effort de coordination concerne la recherche9. En

revanche, on se fout royalement de ce que vous faites en cours avec les étudiant-e-s et,

surtout, de comment vous vous organisez. Comme on me l’avait dit en début d’année :

« Moins on entend parler de tes cours, plus on suppose que cela se passe bien ». Tout au plus

exigera-t-on, pour le bon fonctionnement de l’institution, que les sujets des examens et la

correction des copies soient réalisés dans les délais. Pour le reste, liberté absolue !

Un signe tangible de cette prime à la recherche réside notamment dans la chasse aux cours qui

sont en adéquation avec les thèmes personnels de recherche (sans doute pour favoriser une

9 J’ai délaissé tout ce qui concerne mon rapport à la recherche dans cette lettre. Je sais que, souvent, les choses

ne se passent pas beaucoup mieux mais, comme j’appartiens à un laboratoire qui fonctionne plutôt bien, je n’ai

pas d’expérience si négative en la matière. Simplement, je m’inquiète – comme beaucoup – de la

marchandisation forcée de l’activité de recherche ainsi que du renforcement des contrôles administratifs, et je

m’organise pour éviter toute dépendance financière en choisissant des terrains « pas chers ». J’ai bien senti que,

en devenant maître de conférences, j’avais acquis une légitimité de « chercheur » plus forte (ce qui se traduit par

davantage d’invitations, d’articles, etc.) mais ce n’est pas vraiment ce qui m’avait motivé dans mon saut vers

l’université.

les documents de liens socio – n° 6 – octobre 2007

meilleure diffusion de ses propres travaux et préoccupations…). De même, la concurrence est

forte pour attraper au vol les « niveaux intéressants » (à partir de la licence 3), autrement dit

les niveaux qui comprennent les étudiant-e-s déjà sélectionné-e-s et davantage susceptibles de

faire un jour…de la recherche. Par exemple, quand je suis arrivé, 3 amphis de première année

pour un cours d’« Initiation à la sociologie » étaient sans enseignant-e et j’en ai hérité (avec

joie et fierté car je sais l’importance de ces premiers cours pour les étudiant-e-s). Cette

violence symbolique, qui consiste à se débarrasser des cours de « bas niveau » et à les refiler

aux récemment recruté-e-s, en dit long sur le rapport à l’enseignement et sur l’illusion d’une

quelconque communauté enseignante : quand communauté il y a, on partage ! Dans le même

type de violence, on notera que plus un-e enseignant-e est gradé-e, plus son service évacue ces

mêmes cours ainsi que tous les TD ou autres heures (jugées) folkloriques qui visent à

apprendre aux étudiant-e-s à travailler en bibliothèque, à s’organiser, etc.

Une première forme de mépris des étudiant-e-s consiste ainsi à choisir ses services en

fonction du mérite que ces dernier-e-s ont conquis pour accéder à l’enseignant-e – CHERCHEURSE

que je suis.

Vous avez dit pédagogie ?

La liberté pédagogique est une vieille rengaine du personnel enseignant afin de protéger

l’indépendancegnagnagna…et surtout le privilège de rendre le moins de comptes possible. On

oublie souvent que cette fameuse liberté n’a pas vocation à contrarier l’égalité des élèves et

des étudiant-e-s face à l’enseignement. Or, c’est bien ce qui se passe à l’université, et

puissance 10 par rapport au lycée parce que l’absence de programme collectivement élaboré

renforce l’inégalité de traitement : chacun-e pouvant faire ce que bon lui semble, chacun-e

fait comme bon lui semble.

Quand j’ai pris mes fonctions (d’enseignant), j’ai voulu savoir comment un cours magistral se

déroulait, comment on évaluait lors des examens ou encore ce que les étudiant-e-s (de master

1) avaient déjà fait dans un cours de méthodologie dont je devais assurer la suite. Poser des

questions en la matière – par mel puisque les gens sont généralement absent-e-s – induit deux

types de sensation : celle de ne pas exister et/ou de faire chier (quand vous n’obtenez aucune

réponse) ; celle d’être jugé incompétent puisque vous posez des questions.

les documents de liens socio – n° 6 – octobre 2007

Vous pouvez demander à un-e spécialiste de Marx de vous expliquer Marx mais vous ne

pouvez pas lui demander comment il-elle explique Marx à ses étudiant-e-s. Tout ceci est lié au

fait que l’on peut devenir enseignant-e – chercheur-se sans avoir reçu une quelconque

(in)formation en matière pédagogique. En effet, le plus souvent, les MCF et les PU ont réussi

un doctorat puis ont montré par leur activité de recherche qu’elles et ils étaient qualifié-es…

pour chercher. On pourrait s’attendre à ce que cette négligence de l’enseignement dans le

processus de recrutement induise une dynamique collective qui consiste à s’organiser pour

faire en sorte que notre méconnaissance pédagogique trouve un palliatif. Ben non. Du coup,

prévaut une (non) culture pédagogique dont les contours sont les suivants.

Premièrement, chaque heure de cours est une forme de création artistique : vous arrivez avec

quelques idées jetées sur une feuille volante et vous tenez 1 à 2 heures. Les étudiant-e-s

évoquent ainsi souvent ces profs qui vous brodent, sous la forme d’un monologue avec les

yeux au plafond, un cours très riche en contenu mais sans plan ni véritable fil directeur. Je me

souviens d’un-e collègue qui se plaignait d’avoir un amphi partagé en deux groupes aux

horaires différents car ce mode d’organisation – qui supposait qu’il répète deux fois la même

chose – contrariait la dimension créatrice de son cours. Quand le cours est moins artistique,

on repère des enseignant-e-s qui se contentent de répéter pendant plusieurs années le même

contenu…comme au lycée ceci dit mais de manière beaucoup plus assumée.

Deuxièmement, le cours magistral est plus valorisé que les autres types de cours, comme en

témoigne la difficulté à trouver des enseignant-e-s statutaires pour les heures de TD. Or, la

centralité du cours magistral dans l’université actuelle induit une apathie verbale des étudiante-

s : écrasé-e-s par les monologues des enseignant-e-s et leur inaptitude pédagogique à

construire le cours avec leurs usager-e-s, ces dernier-e-s s’enferment dans un mutisme

structurel qui rend profondément ennuyeuse et déstabilisatrice l’heure de cours pour tout-e

enseignant-e tenté-e par d’autres modes pédagogiques. Par exemple, quand j’ai essayé

d’introduire un cours de sociologie politique en licence 3 par un questionnaire-débat (truc qui

marche chaque fois au lycée), non seulement j’ai eu du mal à susciter des prises de parole

mais j’ai rapidement senti que les 80 étudiant-e-s s’interrogeaient sur le caractère sérieux de

mon cours, compte tenu de son décalage avec le cours magistral orthodoxe.

les documents de liens socio – n° 6 – octobre 2007

Troisièmement, l’absence en cours des étudiant-e-s ou leur désintérêt ne sont jamais pensés

comme le produit de notre inaptitude pédagogique mais comme le résultat de la société de

consommation, de la culture-zapping, de la baisse de niveau, etc. Le nombre de conneries que

l’on peut entendre sur les mutations de la population étudiante sans jamais s’interroger sur la

responsabilité collective des enseignant-e-s, c’est effarant ! Mépriser les étudiant-e-s, c’est

utiliser l’arme idéologique de leur inaptitude individuelle – ou collective quand on désigne les

Bac Pro ou techno – à faire des études supérieures, arme qui permet de leur cacher les

mécanismes par lesquels la pédagogie est délaissée en toute conscience (non professionnelle).

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